
La vie nous soumet parfois à des épreuves terribles qui nous laissent brisés, anéantis, incapables de formuler quelque pensée cohérente que ce soit. La perte d’un être cher décédé beaucoup trop jeune, par exemple. À travers le processus de deuil qui s’en suit, les questions existentielles prennent peu à peu une place prépondérante dans notre parcours et ce à un point tel que toute notre perception des choses s’en trouve modifiée.
C’est ainsi que durant mes vacances de l’été 2015, profitant d’une marche au bord de la mer pour prendre quelques clichés, j’ai soudain compris que tout ce que j’étais en train de photographier était… MORT! Inanimé! Sans vie! Des algues mortes, du bois pourri, des crustacés ou coquillages vides. Un tableau extraordinairement vivant mais où tout n’était que trépas!
Paradoxalement, dans mes photos, j’ai vu LA VIE! Me remémorant certaines techniques de transfert d’image apprises au baccalauréat, j’ai entrevu comment je pourrais REDONNER VIE à tous ces clichés. Soudainement, les mots « IMMUABLE ÉPHÉMÈRE » se sont imposés à mon esprit, revenant constamment comme un leitmotiv. C’est ainsi que ma présente démarche commença à prendre forme et que je débutai ma production artistique.
Passionnée de peinture, de dessin, de photographie et de voyages, je me sers de toutes ces avenues pour créer. Chasseuse d’atmosphères et d’ambiances, je capture tout d’abord en photo des lieux, des objets ou des instants fugaces, que je fixe à jamais dans le temps. Via un processus de transformation numérique, j’effectue ensuite une synthèse de l’image, la renvoyant à elle-même, à sa plus simple expression, une trame en noir et blanc.
Bien que cette étape puisse sembler n’être qu’une simple manipulation visant à obtenir un « dessin » de base et que ma démarche se soit d’abord manifestée via ce procédé, je crois important de souligner ici que mon intention et mes réflexions artistiques se sont beaucoup précisées et ont évolué à travers le processus. Loin d’être anodin, le transfert d’image revêt une signification tout à fait particulière qui fait partie intégrante de mes préoccupations et de ma démarche.
Je m’explique. Le cliché utilisé, tel un moment VOLÉ AU TEMPS, saisit l’essence de l’instant ou du sujet, son bagage visuel, sa marque, son EMPREINTE. Au cours de l’intervention numérique, lorsque je ramène cette image à nu, lui retirant toute personnalité, toute couleur, ne laissant que ses repères de composition, je procède ni plus ni moins à sa mise à mort, à son retour au néant. Je la libère de son essence et de sa spécificité en gardant toutefois l’empreinte dont je parlais précédemment. La composition d’origine est désormais reléguée à l’état de « dépouille » alors que son bagage pictural devient la trame de l’œuvre à venir.
Bien qu’il serait assurément beaucoup plus facile de procéder à des impressions parfaites de ces épreuves directement sur le support choisi, je préfère grandement le processus artisanal du transfert d’image à la main. Comme la naissance, comme la vie, ce procédé laisse ses traces, stigmates du parcours effectué et celles-ci font partie intégrante de l’œuvre. De plus, le processus en tant que tel, le marouflage puis tout le « peeling » requis afin de retirer le papier, me procure une proximité physique importante et précieuse avec mes œuvres. Chaque petit centimètre de surface est mouillé, pelé, frotté, gratté et nettoyé jusqu’à ce que la version noire et blanche apparaisse. Sans oublier la symbolique du geste! C’est un peu comme retirer « l’ancienne peau » de la toile permettant ainsi sa mutation, sa transformation. Vient ensuite la reviviscence de l’image via la peinture, le dessin, tel un processus de gestation qui la révélera sous une autre forme, une dimension parallèle et renouvelée. En d’autres mots, lorsque je peins en appliquant des couleurs VIVANTES ET VIBRANTES sur la toile, j’ai réellement le sentiment que j’insuffle une nouvelle vie à quelque chose qui n’existait plus.
Au début de ma production, j’ai dû commencer par me familiariser et expérimenter avec les techniques inhérentes à ma méthode de création tels que le transfert d’image, l’application de couleurs à base de glacis essentielle au maintien d’une transparence, puis la finition avec l’encre ou le fusain qui me donnent une définition et un contraste sans pareils.
Ce processus étant désormais pleinement maîtrisé, la symbolique et l’exploration prennent une place grandissante dans mon travail. Des préoccupations se précisent, des thématiques s’imposent, entre autres le clair-obscur, symbolisant à mes yeux tous les aspects dichotomiques de l’âme et les ambivalences si nombreuses de l’être humain.
Fascinée par ses multiples facettes je fais place, plus récemment, à une certaine allégorie à travers l’utilisation de personnages. Désireuse de pousser plus loin ma démarche qui constitue à (re)donner la vie, je tends de plus en plus d’exploiter la facture photographique de l’œuvre en tentant d’insuffler à mes sujets un aspect tridimensionnel. J’aspire à représenter ces statues comme si elles tentaient de s’évader de leur prison de marbre, atteindre une dimension, une identité qui leur soit propre, devenant réelles, PRENANT VIE et essayant de sortir de leur cadre.
En concluant, il serait sans doute exagéré de dire que ma production artistique est une revanche envers l’existence qui m’a confrontée à la mort odieuse et prématurée d’un être cher. Mais, je peux facilement affirmer que celle-ci m’aide à réaliser que le cycle IMMUABLE au sein duquel nous évoluons en tant que petits fragments ÉPHÉMÈRES est un perpétuel processus de changement, d’évolution, de mort et de renaissance et que tout ce qui vit, tout ce qui meurt… peut parfois RENAÎTRE aussi!